Avant toute écriture, il faut « choisir » son histoire.
L’idée s’impose parfois tout naturellement, issue du choix de genre,
de style, de lieux, de personnages, d’époque, de public… Il faudra
alors lui trouver un titre… : le titre « Les fonds secrets de
Quidordine » a eu bien du mal à émerger pour évoquer correctement
l’histoire !
Mais parfois le titre s’impose en premier et va façonner l’histoire… :
c’est le titre « Le trésor du vendéen » qui nous amène à chercher et
utiliser un fait historique pour soutenir notre scénario.
D’autres fois, un thème est imposé, comme dans un concours : « les animaux de la ferme »… ainsi que le format (nombre de cases, de pages…). Cela simplifie la recherche, mais exige la même rigueur de réalisation. Il faudra trouver l’idée, son titre, et couvrir toutes les étapes de sa réalisation.
En tout cas, la première étape d’écriture, c’est le synopsis.
(Petit Robert : « récit très bref qui constitue un schéma de scénario. »)
C’est à la fois le premier jet et le résumé de l’histoire. Le synopsis en est la mémoire.
Il va en constituer le squelette.
Pouvoir le rédiger, c’est déjà « avoir » son histoire. L’histoire
complète ! Car, connaître la fin permettra d’aller au bout du récit, de
le conduire convenablement en ménageant un bon équilibre des séquences.
Pas de règle d’écriture. À chacun sa manière. Le synopsis est la
mémoire du sujet : chez nous, c’est souvent un peu bavard, justement
pour ne rien oublier…
L’essentiel c’est d’être cohérent, clair, de « tenir » le sujet en quelques paragraphes.
Le terme synopsis désigne également le très bref texte de sensibilisation écrit comme « accroche » pour présenter l’album à son public.
L’idée est là, gravée dans le synopsis, il faut maintenant la
développer, faire vivre les personnages dans le cadre de l’intrigue,
décrire les situations, les actions, les décors…
En un mot, c’est le moment de trouver l’inspiration…
L’imagination se débride, réparties, répliques, jeux de mots, détails
qui pimentent le récit… Les idées se bousculent… A moins que ce ne soit
le blocage devant une page désespérément blanche, les fausses pistes,
les ratures, les recalages et autres choix cruels…
Malheureusement (ou heureusement !), pas de recette !
L’inspiration vient à chacun selon sa nature... Et elle n’est pas la même suivant les sujets…
Mais attention ! Quelques règles ! Un scénario n’est pas un roman ! Ne jamais perdre de vue son rôle : communiquer au dessinateur les éléments nécessaires à la « mise en scène » du récit. Le scénario se limite donc à décrire avec une concision précise ce que le lecteur devra voir et lire. Une certaine similitude avec l’écriture théâtrale.
Il faut aussi penser à se documenter, sur le sujet, sur les lieux, sur l’époque… Pour cela, un outil précieux : internet…
Pour notre part, l’utilisation de l’ordinateur permet également une
écriture sans contrainte : tout est tapé au rythme de la pensée… Car
l’ordinateur offre cet avantage de pouvoir remodeler à volonté le
texte. Finies les « pattes de mouches » réformant les ratures
multiples, finis les montages de textes découpés aux ciseaux et les
collages et décollages à répétition au scotch tenace !
Avec le clavier, les meilleures comme les plus mauvaises idées sont tapées sur la page…
Qu’importe : chaque mot, chaque ligne, chaque paragraphe pourra être
réformé, déplacé, mis au rebut sans difficulté. Les parties sacrifiées
sont soigneusement regroupées dans un fichier « notes » ou « idées ».
Ça peut servir à tout moment…
Mais attention ! Rigueur et organisation nous permettent de construire notre récit :
- séquençage clairement indiqué afin de penser dès à présent à équilibrer les chapitres et rythmer l’ensemble…
- mises en ordre systématiques afin par exemple de réformer le
déroulement de la fin parce qu’un détail a été introduit au début…
- dialogues indiqués en gras afin de les visualiser rapidement pour les retravailler…
L’exemple le plus frappant de l’utilité de l’informatique est le
travail périodique de « calibrage ». Bien barbare comme mot… Pour nous,
cela consiste à évaluer le nombre de pages auxquelles le texte déjà
bien charpenté nous oblige. Trop de pages, pas assez ?
Nous sommes en cours d’écriture… le scénario n’est pas fini, on sèche
un peu, alors il est utile de savoir où on en est : est ce que ce qui
est écrit entre dans le format de mon futur ouvrage ? Car, le nombre de
pages est pré déterminé par les contraintes de l’impression et de la
diffusion : format des albums, poids, grammage du papier, nombre de
feuillets, etc.
Cette opération réserve bien des surprises et oblige souvent à
sacrifier douloureusement des séquences entières, ou à se torturer les
méninges pour en développer ou en introduire une nouvelle tout en
renforçant le récit…
Par remaniements successifs, le nombre de pages finira par être établi.
Mais jusqu’au bout de l’écriture, les recalages seront constants :
déplacer une réplique qui plus est une scéne sur une page peut induire
un décalage en chaîne sur tout ce qui suit…
L’ordinateur ne change pas le travail habituel du scénariste, mais le simplifie : se documenter, stocker, classer, réformer, éliminer, réserver, rajouter, recommencer et… encore recommencer…
Quelqu’un a dit : on n’écrit pas un scénario, on le réécrit.
Notre scénario est prêt, les pages sont déterminées, et les actions et dialogues de chaque page également. Il reste à transmettre au dessinateur un outil de travail définitif, établi plan par plan. Il nous faut donc organiser chaque page en fonction du nombre et de la taille des vignettes dont on précisera le contenu. C’est l’objet définitif qui sera fourni au dessinateur. Il doit donc, sans pour autant brider ce dernier, être le plus précis possible. Une esquisse de la mise en scène : le rythme est donné, les personnages sont campés, les décors sont plantés…
Le dessinateur voyant la succession des bulles dans la cohérence du dialogue. aura une indication claire de la disposition des personnages afin de ne pas « croiser » ses bulles par exemple. Il pourra mieux appréhender le cadrage à donner.
Là aussi, ce découpage peut prendre des formes diverses selon les auteurs. C’est l’outil qui permet à deux auteurs de collaborer il s’adaptera donc à leur mode de travail en commun. L'important, c'est que le dessinateur puisse comprendre sans ambiguïté le contenu de chaque case, leur atmosphère. Le scénariste décrira donc précisément le jeu des personnages en fonction du dialogue et de l’action. Il indiquera également la valeur des plans qu’il envisage : plan large, moyen, gros plan, l'aspect du décor, des objets… etc. S’il possède sa documentation le dessinateur sera bien content d’en profiter…
Ce découpage peut être écrit ou dessiné (on parlera alors plutôt
d’un « story board » (en bon français : « scénarimage » paraît-il…)
Pour notre part nous parlons de découpage cadré : chaque case est
représentée par un cadre dont la taille et la forme permettront de
contenir les texte explicatifs (indications de mise en scène), les
bulles avec leur dialogue, et éventuellement les onomatopées diverses
et variées (Gloup, Hop !...).
Quelque chose proche du « story board » (pardon ! scénarimage) et qui permet de ne pas savoir dessiner…
Ce qui d’ailleurs laisse au dessinateur une plus grande liberté de manœuvre
Bien sûr, le dessinateur peut remettre en question les indications
du découpage cadré. Mais comme ce travail a été minutieusement mûri, il
ne le fera qu’en cas de besoin majeur.
Il a toutes ses petites cases sous les yeux… Il lui faut les remplir !
Environ 576 ! Là encore, beaucoup de rigueur dans l’organisation du
travail et la réflexion car sinon, le découragement vient vite…
Il commence donc par les esquisses. On dit aussi « crayonnés » : c’est
en effet au crayon mine que le dessinateur va croquer personnages et
décors.
Un travail de « mise en scène » :
Un travail de virtuose du crayon : tout est dans la maîtrise de l’art du croquis dans le cadre du respect des règles du genre…
Constance dans la justesse du dessin des personnages (quel que soit
l’angle, le lecteur devra toujours reconnaître le personnage au premier
coup d’œil…)
Respect des proportions : le petit doit rester petit auprès du grand,
même si la perspective oblige à des lignes de fuites peu courantes…
La technique du calque : Elbée crayonne sur calque (format
A3). Par transparence, il peut ainsi ajuster son dessin à la taille des
bulles prévues (fournies agrandies par Pibuc).
Et surtout, lors de l’étape suivante (l’encrage), il pourra après avoir
passé l’envers du calque au crayon gras, « décalquer » sur papier à
dessin les meilleures lignes de ses croquis tout en ajustant l’image
par glissement…
Le dessinateur a tracé ses cases à la taille voulue. Il a « calqué » les meilleurs traits sur son papier…
Il n’y a plus qu’à…
Il faut redessiner à l'encre de chine et plume les contours du crayonné.
Pas beaucoup de marge d’erreur… Sûreté du geste de la main, sûreté du
trait. Chaque dessinateur a sa manière, sa patte, son tracé.
Un travail minutieux pour obtenir le trait définitif qui sera imprimé.
Mais avant l’impression, il faut mettre en couleur…
Choisir les couleurs qui sont appliquées dans les zones délimitées par
les traits encrés (visage, cheveux, veste, feuilles du paysage…). Choix
important car il faudra en respecter la continuité au fil des planches,
mais aussi parce qu’il crée l’ambiance (orage, intérieur sombre,
crépuscule, nuit…) et souligne l’intention (l’un rougit de honte,
l’autre est violet de froid…) en jouant sur les lumières, les dégradés…
Depuis quelques années, l’utilisation de l’ordinateur pour cette mise
en couleur a grandement facilité la tâche du coloriste en lui apportant
nombre de fonctionnalités qu’il était difficile de maîtriser à une
époque où effectuée sur un tirage particulier de la planche, appelé «
bleu », cette opération était faite au pinceau à l'aquarelle ou à la
gouache.
La colorisation est de plus en plus réalisée par des professionnels
infographistes.
Cependant, certains dessinateurs travaillent en couleur directe, comme un peintre (Enki Bilal).
Pour nous, c’est encore l’ordinateur qui va nous aider à « mettre en bulles » nos planches colorisées.
En effet, depuis l’étape du découpage cadré, nous disposons des bulles
définitives. Il reste à les extraire du fichier informatique pour les
disposer et les caler sur l’image des planches, case par case.
Il est toujours possible lors de cette dernière étape de réformer le
texte qui parfois montre une redondance avec l’image (c’est la première
fois que l’on voit texte et image réunis !).
C’est également maintenant que l’on va orienter au mieux les « queues » des bulles qui indiquent la provenance des répliques.
Sans oublier de disposer judicieusement par rapport à l’action
définitive les onomatopées qui accompagnent au mieux l’image. C’est
aussi l’occasion d’en supprimer certaines si l’image est suffisamment
expressive par elle-même.
Et encore vive l’informatique !
Fini le tas de planches, « bleus » et autre « rhodos » à « flasher » chez l’imprimeur !
Nous arrivons chez lui avec un disque (DVD ou CD) à la main. Tout est numérisé. En un seul clic, il sort tout sur ses écrans.
Son infographiste dispose les éléments tels qu’ils doivent être
imprimés sur feuillets de 8 pages et nous propose le « B.A.T. » (Bon A
Tirer) qui est une sortie rapide des pages disposées dans l’ordre. Il
nous faut le vérifier tout en regardant si une ultime réforme ne serait
pas à taper sur son clavier, dans son atelier…
Et, c’est la rotative offset…
La première sortie de la page imprimée, le bruit de l’engin, l’odeur de l’encre…
Le regard au compte fil de l’imprimeur, les derniers calages…
Ensuite, il y aura le façonnage : pliage, massicotage, reliure (couture et collage)… etc.
Avant de voir enfin nos albums sortis de la chaîne et soigneusement mis en cartons qui seront portés chez le diffuseur…
Et là commence une autre histoire ! Celle de la distribution.
Pibuc, décembre 2007